Page 40 - Marsanne Résidence comtale
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MARSANNE VILLE COMTALE MÉDIÉVALE




                  lignée des comtes de Valentinois, dits de Poitiers, à une mystérieuse personnalité féminine.
                  Dans la description des comtés citée au début de ce texte, ce thème prend place seulement
                  à la fin de la liste des domaines et des fiefs appartenant au comté de Diois, à propos de la
                  Roche-des-Arnaud, un fief très excentré par rapport au Valentinois et même très éloigné du
                  Diois, puisqu’il se trouve dans la vallée du Buëch, entre Veynes et Gap.
                        Voici la traduction de ce surprenant texte latin : le château de la Roche des Arnaud
                  en Gapençais, que tient le seigneur du lieu, est un fief du comté ; il appartenait autrefois à
                  des puissants qui s’appelaient Arnaud et qui furent comtes de Marsanne en Valdaine et qui
                  étaient seigneur de Crest-Arnaud et des pays alentours. Des documents ont été retrouvées
                  dans l’abbaye de Saint-Thiers de Saoû et dans le prieuré de Brisans près de Crest, selon
                  lesquels un roi d’Angleterre avait eu pour épouse une des filles du comte de Marsanne.
                        L’affirmation de l’identité des seigneurs de Crest et de ceux de la Roche repose sur
                  une confusion entre Arnaud de Crest, seigneur de Crest et de Chastel-Arnaud dans la vallée
                                   e
                  de la Drôme au XII  siècle, et le lignage des Flotte, seigneurs de La Roche-des-Arnaud près
                  de Veynes, aujourd’hui dans le département des Hautes-Alpes. Le même prénom, Arnaud,
                  était employé dans les deux familles réunies sous la suzeraineté du comte, ces localités étant
                  situées sur une route d’origine romaine joignant la vallée du Rhône au col du Montgenèvre.
                        Faire de deux familles homonymes une même lignée fournissait au rédacteur un
                  argument imparable pour expliquer ce rattachement d’une possession éloignée du comté de
                  Valentinois. Il est certain aussi que l’un et l’autre de ces lignages, pourtant liés au comte, sont
                  restés étrangers à la Valdaine en général, et à Marsanne en particulier.
                        La mention insolite du mariage entre un roi d’Angleterre et une fille du comte local
                  paraît invérifiable, puisque les archives des deux établissements religieux cités, celui de Saoû
                  et celui de Crest, ont été détruites. Elle pourrait pourtant être plausible, car les stratégies
                  matrimoniales des grandes familles se faisaient alors à l’échelle de l’Europe. Ainsi, au treizième
                  siècle, le comte de Provence et de Forcalquier, Raymond Bérenger – apparenté aux comtes de
                  Barcelonne et lui-même époux de Béatrice de Savoie – que la tradition nomme le père des
                  quatre reines -  avait réellement marié ses filles à des rois européens.
                        Il avait doté en argent Marguerite qui avait épousé le roi de France Louis IX (Saint
                  Louis), Eléonore, le roi d’Angleterre Henri III, ainsi que Sancie, le roi des Romains Richard
                  de Cornouailles, frère du précédent. Raymond Bérenger avait fait de sa cadette, Béatrice,
                  l’héritière du comté de Provence en la mariant au roi de Sicile et de Naples, Charles d’Anjou,
                  ce qui éloignait la Provence du royaume de France pour plusieurs siècles.
                        En résumé, ce qu’il faut retenir de ces quelques phrases latines, c’est qu’à La Roche-
                  des-Arnaud, persistait le souvenir d’anciens comtes de Marsanne, devenus seigneurs de Crest
                  et des environs, dont les alliances étaient recherchées par de lointains rois, cette évocation
                  pouvant peut-être refléter une réalité historique plus ou moins déformée.
                        Effectivement d’autres témoignages ont été couchés sur le papier par d’autres
                  enquêteurs de la même époque et certains historiens dauphinois leur ont accordé du crédit,
                  à défaut de données plus objectives.

                        Ainsi en est-il d’Anselme Du Chesne, considéré comme le fondateur de l’histoire
                  moderne, à qui l’on doit une Histoire généalogique des comtes de Valentinois et de Diois,
                  imprimée à Paris en 1628. Il a en effet reproduit dans un volume de Preuves de larges extraits
                  d’une enquête faite à Romans en 1422.

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