Page 291 - Tous les bulletins de l'association des" Amis du Vieux Marsanne"
P. 291
LE CLOCHER
Contrairement à la face nord-ouest de l'église qu'elle jouxte, cette tour carrée se signale par la
diversité de ses styles et le désordre de ses pierres.
e
e
Hormis pour les étages supérieurs des 15 et 16 siècles, les avis divergent quant à la datation de
l'ensemble. Fut-il à l'origine, et conformément aux réalisations régionales de nombreux architectes
romans, un clocher contigu à la façade et servant de défense ? On peut le concevoir ainsi et penser
que ce fut d'abord une tour défensive avec, à sa partie la plus basse, une salle forte. Pour être la plus
sûre, cette salle était en partie enterrée. On ne pouvait y accéder que de l'intérieur par une trappe
aménagée dans le sol du premier étage. Comme elle faisait partie intégrante de la base inébranlable
e
de l'édifice, on peut comprendre qu'à la fin du 15 siècle, sans aucun risque pour la stabilité de
l'ouvrage, on ait pu l'aménager en chapelle gothique par simple ouverture sur la nef.
Dans sa partie visible, la tour initiale s'élève aujourd'hui sur le mur nord du premier niveau avec,
aux angles, d'énormes pierres assemblées en besace, et sur les parois, un appareil primitif assez
régulier que sont venues bouleverser des pierres et des techniques disparates au cours
d'innombrables réparations.
Le deuxième niveau s'orne de belles ouvertures géminées. Celle du levant a laissé sa place à une
imposante baie en arc brisé, tandis que celle du midi est en partie éventrée par une maladroite
ouverture de remplacement plus large. Les fenêtres du premier étage, petites et rectangulaires, sont
plus modestes, mais aussi plus sûres ; celle de l'est montre qu'à cette époque l'église n'a plus de
voûtes. Ces réfections postérieures aux fenêtres géminées sont probablement contemporaines de la
création de la chapelle gothique dans la partie inférieure du clocher. Elles permettaient de surveiller
un très vaste horizon. L'unique porte s'ouvrait au nord, protégée par la colline. On peut toujours la
franchir pour accéder au premier étage.
A différents niveaux, des bandes ceinturent la tour. Elles résultent du débordement régulier de
larges dalles prises dans l'épaisseur des murs, afin de renforcer l'ensemble tout en consolidant les
assises portant les ouvertures.
e
Solide et majestueuse, cette tour première dût faire face à de rudes assauts. C'est au début du 15
siècle, avec les guerres de Raymond de Turenne, que les attaques furent les plus meurtrières. En
1445, Marsanne et ses fortifications étaient "dans un tel état de ruines et de dépérissement" (22)
qu'ils n'offraient plus qu'un triste spectacle. (23)
Après enquête, le Parlement de Grenoble ordonna de grandes et coûteuses réparations et , durant un
siècle, Saint-Félix connut la paix. Alors, non seulement on répara les brèches, on construisit les
parties gothiques, mais on bâtit un troisième étage au sommet de la tour.
Sur les vieux murs raccommodés s'installa une construction d'assez gros appareil, ouvre aux quatre
faces par d'élégantes fenêtres géminées, ornées de fines colonnettes. Par leur style, ces fenêtres
e
nous permettent de dater l'ouvrage du 16 siècle, tout comme cette salamandre, emblème de
er
François 1 , sculptée sur une pierre jadis fixée au-dessus de l'ouverture ouest, tout près d'une autre
pierre portant les véritables armes de Marsanne, c'est-à-dire la simple "double croix" telle qu'elle
est décrite le 3 août 1605 dans les archives communales (FF 9) : "une double croix que le vulgaire
appelle "Eychagnie" (expression en patois signifiant "c'est le signe" de la communauté).
Les trois étages furent enfin coiffés d'une pyramide de pierre à base octogonale dont les traces
demeurèrent visibles jusqu'aux années 1960. Ainsi la vieille tour était devenue le clocher des jours
heureux, mais hélas la paix ne dura guère.
Dès 1569, s'annoncèrent les guerres de religion. Elles accumulèrent tant de ruines sur l'église et le
clocher que Saint-Félix, malgré quelques soubresauts, ne se releva jamais totalement.