Page 258 - Tous les bulletins de l'association des" Amis du Vieux Marsanne"
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En 1906, les lavandières émigrèrent à l'abri du nouveau lavoir. Au cours des années 1920, l'eau
fut distribuée dans toutes les maisons du village. La fontaine, moins "sollicitée", n'en demeura pas
moins un joyeux lieu de rencontre.
En été, aux heures des repas ou à celle du "pastis", chacun "allait à l'eau fraîche", pot à eau ou
carafe à la main ; cafetiers et restaurateurs en faisaient autant. On voyait même leurs casiers de bière
ou de limonade baigner tout entier dans le bassin rafraîchissant. Il n'y avait pas de voleurs ! Quelques
vendangeurs y plongeaient des fûts aux douves desséchées depuis la précédente récolte.
Fidèles aux vieilles habitudes, une poignée de ménagères venaient encore rincer leurs salades
et légumes sous le goulot généreux.
A l'arrière-saison, arrivait une "machine" qui s'installait à la portée d'eau. C'était l'alambic.
Quel objet de curiosité pour les enfants qui s'y précipitaient en bandes joyeuses, au sortir de l'école,
durant les premiers jours ! Quel sympathique lieu de rencontre pour les hommes pendant de longues
semaines !
Jusqu'aux années 1960, tant que leurs droits furent maintenus, les bouilleurs de crû apportaient
leur marc à distiller. D'agréables fumets d'eau-de-vie envahissaient parfois le village. Eau-de-vie au
goût de terroir, qu'on appelait " la goutte".
Après le travail, des groupes de joyeux bavards se formaient autour de l'alambic. Les amateurs
avisés "goûtaient", pour en apprécier le bouquet, le liquide encore tiède sorti de l'appareil. D'autres
tentaient d'en estimer le degré d'alcool ! La bonne humeur, les "blagues" étaient de mise. De loin, on
entendait leurs rires et leurs éclats de voix. Mais un jour ils se turent. L'alambic avait dû quitter la
fontaine. Il s'installa quelques saisons à la campagne, sur l'aire de l'Escurie, puis il prit sa retraite avec
son inséparable et combien populaire propriétaire, Léon Terras.
Depuis, calme et silence se sont faits auprès de la fontaine. Seule l'eau chante encore autour de
l'Obélisque. Des fleurs garnissent son pourtour. Et si les randonneurs matinaux du dimanche aiment
toujours s'y désaltérer, ce sont les nouveaux amateurs du Patrimoine qui, de plus en plus nombreux, lui
portent un réel intérêt, surpris par son architecture et son histoire tant de fois séculaire.
M. L. Raymond