Page 204 - Tous les bulletins de l'association des" Amis du Vieux Marsanne"
P. 204
II LE "PICQUEUR"
e
On raconte qu'au début du 18 siècle, un phénomène curieux se manifestait quotidiennement, tout en
haut du vieux bourg, sous les ruines du château féodal.
Chaque nuit, vers onze heures, des bruits souterrains se faisaient entendre, comme si l'on donnait des
coups sous terre. Les gens du pays s'interrogeaient craintivement. Etaient-ce des esprits revenus hanter
les lieux ? Assez rapidement, la régularité du bruit fit penser à la frappe de faux-monnayeurs, cachés
dans d'imaginaires sous-sols du vieux château.
Alors, on établit des tours de garde, on surveilla les alentours afin de surprendre les coupables, mais on
ne vit jamais, ni suspect, ni fausse monnaie, ni aucun préjudice porté aux habitants. Le mystère demeura
total et les rumeurs eurent beau jeu durant quelque temps. Puis, comme le phénomène se prolongeait de
soir en soir, les habitants finirent par en accepter l'énigme et l'appelèrent "le Picqueur".
Bien des Marsannais connaissent ce récit, transmis de génération en génération, depuis des siècles. Mais,
la plupart ignorent que l'aventure est loin de s'arrêter là, qu'elle a dépassé nos frontières communales et
intéressé d'éminents érudits.
Au temps de ce "Picqueur" (8), vivait à Marsanne dans sa propriété de "l'Escurie" (9), la famille Dufesc.
Elle comptait parmi ses membres un châtelain, un avocat, un capitaine du Roi, et même un physicien.
Ce dernier, Louis-Antoine Dufesc, dit aussi "Lozeran", fut baptisé le 7 janvier 1691 et entra dans la
Compagnie de Jésus où il fit de hautes études. Devenu savant, il professa les mathématiques et les
sciences physiques, et mourut à Tournon en 1755. Il fit partie des Académies de Béziers, Perpignan et
Bordeaux.
Il exécuta de nombreux travaux, manuscrits ou imprimés, dont plusieurs furent couronnés. Son discours
sur la "propagation du feu" reçut le prix de l'Académie des Sciences en 1738, en compagnie du célèbre
mathématicien Euler.
Parmi tous ses écrits, certains ont été conservés dans les archives de l'Académie Royale de Béziers, et
l'un d'eux concerna particulièrement Marsanne. Il s'intitulait : "Description d'un bruit souterrain de
Marsanne, village du Dauphiné à deux lieues de Montélimart, par le Père Dufesc, de l'Académie de
Béziers, lu le 4 novembre 1723". (10)
Nous savons que le savant y expliquait par "plusieurs raisons physiques" la cause de ce bruit, entendu
chaque nuit, et que les habitants appelaient "le Picqueur". Malheureusement, nous ignorons ces "raisons
physiques", car notre connaissance du document est aujourd'hui incomplète.
Certains ont dit qu'elles étaient d'ordre hydraulique, liées à des variations cycliques du débit des eaux
souterraines au cours d'une journée.
Comment le savoir ? Il faudrait retrouver et relire le manuscrit. Or, le hasard faisant parfois bien les
choses, voilà qu'une thèse de doctorat est en cours de réalisation. Elle a pour sujet "L'Académie de
Béziers" et son auteur, dans un récent échange de correspondance m'a écrit, à propos de Dufesc-Lozeran
: "Je suis intéressé par ce personnage (...) Les lettres de mes archives en font l'écho et j'en parlerai assez
longuement dans ma thèse de doctorat".
Trouverons-nous enfin, dans la thèse achevée, la réponse à nos questions ?
C'est une histoire que je ne manquerai pas de suivre
(8) Orthographe d'époque
(9) Propriété actuelle de M. et Mme Gillabert
(10) d'après A. Lacroix, Archives Civiles de la Drôme, arrondissement de Montélimar, Commune
Marsanne