Page 175 - Tous les bulletins de l'association des" Amis du Vieux Marsanne"
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En 1805, Madame Veyrenc, veuve Beaufort, propriétaire de la maison limitrophe du cimetière (7), adressa
une pétition aux autorités préfectorales. "Par ses exhalaisons, écrivait-elle, il infecte l'air et peut produire des
maladies". Elle demandait qu'il soit transféré conformément aux dispositions de l'Edit de mars 1776. Un
médecin et un chirurgien envoyés comme experts reconnurent l'insuffisance du terrain dont la nature
rocheuse empêchait l'excavation assez profonde ; ils dénoncèrent son exposition trop forte à la chaleur
estivale et à l'humidité due au ruissellement et au torrent de Fresneau. Ils déclarèrent le cimetière nuisible
aux habitants. Le préfet, en conséquence, ordonna le transfert, faisant obligation à la municipalité de trouver
un terrain convenable.
Mais les choses traînèrent. Les campagnes napoléoniennes pesaient lourd sur les budgets communaux.
Plusieurs propositions furent rejetées. Enfin, le 5 mars 1813, la famille Veyrenc-Beaufort (7) ayant fait
donation à la commune d'un terrain de 13 ares 50 centiares, clos de murs, situé au quartier de "Loches",
l'empereur lui-même, par une lettre transmise par le ministère de l'Intérieur, donna l'autorisation d'y établir
un nouveau lieu de sépulture (Archives Marsanne MN).
Ce fut le cimetière de Loches, en bordure du chemin du Ventol. Tous nos amis chasseurs, nos gamins épris
de liberté, connaissent cet endroit perché où les dernières pierres tombales se cachent sous les broussailles, à
l'ombre de cyprès traditionnels (voir Carte B, C4). Nos aînés y furent ensevelis de 1815 à 1861 et nos
grands-mères, quand nous étions enfants, savaient encore y reconnaître les tombes de nos familles.
Si surprenant que cela puisse paraître aujourd'hui, et malgré la "Déclaration des droits de l'Homme" de
1789, ce cimetière, comme tous ceux qui l'avaient précédé, fut exclusivement réservé aux catholiques. Pour
les autres, seuls les constats de décès figuraient sur les registres, jamais les lieux de sépulture. Même le curé
Demeyzin, plus explicite que ses confrères, écrivait le 19 juin 1750 : "décès d'Isaac Empéta, domestique
berger... a été enterré à la manière des Religionnaires Protestants, religion dans laquelle il a toujours vécu
avec obstination..." Mais à Marsanne, quelle était cette manière ? Un siècle plus tard, le 12 juillet 1851, une
lettre adressée à la municipalité nous apporte quelques lumières.
Ecrite au nom des douze familles protestantes de la commune, elle est signée par dix pères de famille qui
s'expriment ainsi : "Maintenant encore, quand l'un de nos coreligionnaires meurt, nous sommes obligés de
l'ensevelir dans nos champs...Cette dure réalité nous afflige... Nous demandons un cimetière pour enterrer
honorablement nos morts." (8)
En 1858, l'administration préfectorale intervient en faveur de cette demande. La municipalité approuve et,
constatant par ailleurs l'insuffisante exiguïté du cimetière de Loches, elle vote en 1859 le projet
d'aménagement d'un cimetière pour les deux cultes dans le terrain Peysson, route de Cléon d'Andran.
Dans un premier temps, fut envisagé le partage du terrain en deux zones, l'une catholique, l'autre protestante
avec une porte secondaire réservée aux Protestants. Mais la municipalité d'Auguste Loubet décida
rapidement qu'un seul et même grand portail accueillerait sans distinction, tous les morts de la commune,
sur un seul et même terrain, clos de murs réglementaires.
Les crédits furent votés et l'on peut lire sur le registre des délibérations de l'époque : "Le 22 septembre 1861,
Monsieur Auguste Loubet, maire, et son conseil municipal ont assisté à la bénédiction et à la prise de
possession du nouveau cimetière. Cette cérémonie a été faite par Monsieur le Curé Doray, assisté de Benoit,
vicaire. La plus grande partie de la population y assistait."
En 1863, un budget pour l'entretien fut prévu et on décida d'accorder des concessions trentenaires ou à
perpétuité. A la demande des familles, quelques transferts furent autorisés entre l'ancien et le nouveau
cimetière devenu le seul en service. Et c'est en 1883, que le premier "char funèbre" (corbillard) fut acheté
pour la somme de 1 200 francs.