Page 122 - Tous les bulletins de l'association des" Amis du Vieux Marsanne"
P. 122

Document

                                         LE COLPORTEUR MALCHANCEUX


                      Les révolutionnaires marsannais ne manquaient pas d'humour. Ils avaient d'ailleurs
               tout loisir de l'exercer car, si la tourmente balayait le pays, leur petite république était
               épargnée. Le cahier des délibérations de la toute jeune municipalité est une nouveauté. C'est
               l'occasion d'y glisser un peu de malice. On y relate aussi bien les faits importants que la
               moindre pécadille.

                      Au début du registre (22 mai 1790), le citoyen Hervé Villeneuve de Reboul fait une
               déclaration de mule errante "qui dépérissait" dans un champ lui appartenant. "Et comme il
               souffrait depuis longtemps des dommages de cette bête il a pris le parti de la faire traduire
               dans les écuries de l'hôtel de ville".
                      Après avoir délibéré, le conseil municipal arrête que la mule y restera trois jours en
               attendant qu'on la réclame. Quand son légitime propriétaire viendra la chercher, il devra régler
               les dommages. Le conseil attend toujours et le registre est muet sur la suite de l'affaire.

                      Plus souvent (17 juin 1790), ce sont des troupeaux qui mangent des gerbes dans les
               champs. On relate aussi quelques larcins, comme des coupes de bois illégales en forêt (27 juin
               1790).
                      Ailleurs (5 septembre 1790), le conseil recommande de respecter la date des
               vendanges "pour éviter de faire du mauvais vin".
                      Ensuite, le registre prend un tour plus martial comme en témoignent les pages
               précédentes.
                      Toutefois, un épisode assez cocasse est relaté quatre ans plus tard. La Terreur a balayé
               la France qui manque de tout. L'inflation galope et les prix sont bloqués par une loi du
               maximum, l'espionite fait rage. Tout voyageur proposant des marchandises à un prix élevé
               devient suspect, surtout s'il circule sans passeport.
                      C'est le cas du citoyen Pierre Chaussignan qui comparaît devant le Comité de
               surveillance de Marsanne, le 15 messidor An II (3 juillet 1794) à 10 heures du soir. Il traîne
               dans la commune depuis deux ou trois jours et propose des poteries à "un prix exorbitant".

                      Le registre relate l'incident sous forme d'interrogatoire rédigé avec un zèle tout
               révolutionnaire, mais non dénué d'humour : le colporteur vient d'Aubenas et annonce comme
               profession "qu'il tournait un moulin à soye". Il a perdu son passeport un an plus tôt à
               Montélimar.
                      "Interrogé pourquoi il ne s'en était pas procuré un autre, a répondu que personne ne
               lui en ayant demandé il n'avait pas cru devoir s'en procurer".
                      Le suspect affirme avoir prolongé son séjour dans la commune, "l'orage qu'il faisait"
               l'empêchant "de partir de crainte de casser sa poterie".
                      En réponse à une question, il déclare venir régulièrement à Marsanne où il connaît
               depuis quinze ou seize ans un certain Jacques Landon chez qui il a bu et passé la nuit.
                      Les deux jours précédents, il avait dormi chez le citoyen Fuzan et le citoyen Crozat.
                      Aussitôt convoqué devant le comité, le citoyen Landon affirme ne connaître le
               colporteur que depuis deux jours et lui avoir accordé l'hospitalité par charité.
                      "Vu l'heure tardive", le président du comité, Perrin, ajourne l'interrogatoire au
               lendemain. Il arrête que Chaussignan passera la nuit chez Landon "et sous sa responsabilité".
   117   118   119   120   121   122   123   124   125   126   127