COURBON (Nicolas Bournard)
COURBON (Nicolas Bournard ou Bornas, dit le marquis de), officier de fortune, de qui Moréri et les principaux biographes parlent avec éloges, sur la foi d'une histoire, qui est plutôt un récit d'aventures rappelant celles de don Gil Blas de Santillane et de don Guzman d'Alfarache, naquit vers 1650, à Chateauneuf-du-Rhône, d'Antoine Bour{220}nard ou Bornas, habitant de ce lieu, et de Marie Reynaud ou Reynier. Etant le plus jeune de trois fils, dont le cadet entré dans l'ordre de Saint-François, se signala comme missionnaire en Nigritie et au Bénin, tandis que l'aîné, qui s'appelait Jean, établi à Pierrelatte, où il se maria, le 9 septembre 1671, avec Hélène Vigne, y fut tout simplement hôtelier, à l'enseigne des Trois-Pigeons, il manifesta de bonne heure un goût marqué pour les aventures, tellement qu'il s'enfuit du collège, à 13 ans, pour courir le monde et que, s'étant procuré de l'argent, à l'aide d'une prétendue lettre de son père, qui était son œuvre à lui, et un cheval en le volant à son frère l'hôtelier, il prit le chemin de la Provence. Chemin faisant, il fit la connaissance d'un jeune gentilhomme, avec qui il s'engagea dans un régiment d'infanterie qu'on levait pour la guerre d'Espagne, puis se conduisit si bien qu'il était officier au bout de cinq ans. Malheureusement, la paix amena son licenciement et, se trouvant ainsi sans emploi, il allait prendre du service en Espagne, lorsqu'il fut dépouillé par des voleurs, qui ne lui laissèrent que la vie et la liberté. Recueilli par un ermite français, ayant nom Du Verdier, il resta dix ou onze mois avec lui et semblait ne plus devoir le quitter, quand des bruits de guerre étant arrivés jusqu'à lui, ses idées belliqueuses se réveillèrent. Quelques instances que pût faire son hôte pour le retenir, il partit fort bien équipé et muni de 50 piastres, mais pour tomber aussitôt dans une embuscade de miquelets ou voleurs de montagne, qui ne lui laissèrent la vie que parce qu'il leur persuada qu'il voulait être des leurs ; et de fait, il resta avec eux trois longs mois, au bout desquels, ayant pu s'échapper, il eut la bonne fortune de rencontrer un grand seigneur bourguignon, qui se l'attacha comme gentilhomme.
Les gages étant assez élevés chez ce grand seigneur, il suffit de deux ans à notre aventurier pour avoir un certain pécule, avec lequel il gagna Marseille où, toujours peu scrupuleux, il s'associa avec un pirate. Pirate, Bornas eut presque aussitôt une bonne prise, qui lui rapporta 10,000 écus, et c'est alors, qu'étant allé à Rome, il se fit appeler le marquis de Courbon. Et qui plus est, il joua si bien son rôle dans la capitale de la chrétienté, que des membres de la famille Ruffo, qui prenaient le même titre, le reconnurent pour parent et le présentèrent dans la société romaine. Seulement, comme " il fallait qu'il soutînt ce nom et cette qualité avec éclat ", il se trouva bientôt à court d'argent ; ce que voyant, il s'éloigna de Rome, se disant rappelé par sa famille, mais y revint bientôt en compagnie d'une certaine comtesse, qu'il avait rencontrée à Turin, en brouille avec son mari et qu'il réconcilia avec celui-ci ; après quoi ils partirent ensemble pour Paris, où le pseudo-marquis de Courbon trouva moyen de se faire attacher comme écuyer au mari de ladite comtesse. Naturellement, la jalousie finit par s'en mêler, et Bornas, contraint d'abandonner sa place d'écuyer, obtint alors, par l'intermédiaire de la comtesse, une lieutenance dans le régiment de Furstemberg. Deux ans après, un duel, dans lequel il tua son capitaine, l'obligeait à s'expatrier, et cette fois, la comtesse le fit entrer dans les troupes de l'évêque de Munster, alors en guerre avec la Hollande.
Cette campagne de Hollande terminée, notre homme " fut obligé, contre son inclination, de suivre le cours de sa fortune et de porter les armes contre son prince légitime ", dit son historien ; en d'autres termes, il s'engagea dans les troupes de l'Empereur, qui venait d'entrer en guerre contre la France, et il paraît même qu'il reçut cinq blessures à la bataille de Sintzheim (6 juin 1674). Fait prisonnier, quelque temps après, dans une rencontre auprès de Maëstricht, il se trouvait dans une situation fort critique, lorsqu'un de ses parents le fit évader, et, devenu alors lieutenant de cavalerie dans l'armée du duc de Lorraine, il {221}gagna bientôt les épaulettes de capitaine, par un acte de bravoure.
Capitaine, Bornas eut des aventures d'un autre genre, qui le mirent à même de convoiter, avec quelques chances de succès, la main d'une riche Allemande ; seulement, comme il lui fallait pour cela des lettres de noblesse, il crut pouvoir trouver quelque chose d'approchant dans son pays et vint dans ce but, en 1679, à Pierrelatte, dont il éblouit les habitants par son luxe. Il les émerveilla surtout par de fantastiques récits, qui devaient faire, treize ans plus tard, le fond de l'histoire que le crédule juge de ce lieu, Pierre Eymard, a laissée de notre héros ; mais il ne réussit pas à trouver les parchemins désirés, ce qui le décida à partir pour l'Autriche où les Turcs venaient de porter la guerre et où il se distingua sous le comte de Castel.
Passant à Vienne, au retour de cette campagne, pour y voir un certain comte de Rimbourg, qui, de portier d'un couvent, s'était élevé jusqu'à une charge de ministre, et le trouvant mort, il intrigua de telle sorte, qu'il finit par épouser sa veuve, avec l'agrément de l'impératrice et de la cour ; puis fut au siège de Bude (1686), et s'étant ensuite engagé au service de la république de Venise, leva un régiment de dragons avec lequel il fit l'expédition de Morée. Or, si l'on en croit son historien, Bornas ou Courbon fit des merveilles pendant cette expédition, d'abord au siège de Coron, puis à Navarin, où il commandait la cavalerie et tailla en pièces celle des Turcs, ce qui lui fit obtenir pour sa part de butin la tente du séraskier ; ensuite à Napoli de Romanie, où il fut sauvé de la mort par un comte de Farges, de la maison de Turenne.
Ayant reçu, après la capitulation de cette dernière place, les patentes de commandant de la cavalerie et des dragons de l'armée vénitienne, avec augmentation de pension, le frère de l'aubergiste de Pierrelatte fut alors rudement éprouvé par la mort de sa femme. Mais il n'en continua pas moins à guerroyer vaillamment, se couvrant d'honneur à Patras, où il fut blessé au genou, ensuite devant Corinthe et devant Misithra, enfin devant Négrepont, dont on entreprit le siège, le 18 juillet 1688, et devant lequel il fut tué par un boulet, étant " à l'âge de 38 ans, l'un des vaillants hommes de son temps, le père des soldats, l'ami des étrangers et le compagnon des officiers et de la noblesse, en un mot l'amour et les délices de toute l'armée, celuy qui étoit la terreur de l'Otoman, le bras droit de ses généraux, le cœur et l'âme d'une armée ", dit son enthousiaste biographe.
Or, tout en faisant une large part à l'exagération dans les récits de ce dernier, il faut bien reconnaître que le prétendu marquis de Courbon était un officier de mérite ; car, à défaut d'autres preuves, nous savons par l'Histoire universelle, qu'il se distingua tout à fait pendant le siège qui devait amener sa mort. On y voit, en effet, que la place de Négrepont ayant été attaquée de cinq côtés différents, le 20 août 1688, les Vénitiens furent trois fois repoussés, mais qu'à la quatrième ils restèrent maîtres du retranchement. " Les Turcs prirent la fuite du côté de la ville, y est-il dit, mais le marquis de Courbon, à la tête d'un corps de cavalerie, leur coupa le chemin, de sorte que quelques-uns furent tués et que d'autres se jetèrent dans la mer. De ceux qui parvinrent jusqu'à la ville, il y en eut aussi un grand nombre de massacrés, parce qu'on ferma les portes de peur que les vainqueurs entrassent avec les vaincus. "
Terminons en disant que le nom de Courbon, emprunté par Jean Bornas, est celui d'un quartier de Pierrelatte et qu'il est de tradition que son frère l'hôtelier étant allé à Venise, pour recueillir son héritage, en rapporta une médaille d'or de 600 ducats, don de la sérénissime République, et un magnifique portrait du défunt.
BIO-BIBLIOGRAPHIE. - Histoire du mar{222}quis de Courbon, maréchal des camps et armées de la sérénissime République de Venise et l'un des commandants en chef sous le généralissime, après la mort du maréchal de Conismarc. Lyon, Thomas Almaury 1692, in-12 de 232 pages, dédié à Nicolas de Prunier, seigneur de Saint-André, marquis de Virieu, premier président au Parlement de Grenoble.
#Biogr. Dauph., i, 278. - Arch. de Pierrelatte, GG, 2 et 3. - Hist. univ..., trad. de l'anglais. Paris, 1779-1791, 120 vol. in-8º, tome xci, 248. - Lacroix, L'Arrond. de Montélimar, ii, 216 et suiv. - Etc.
Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901
Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne
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