POITIERS (Jean de)
POITIERS (Jean de)), neveu du précédent et fils aîné d'Aimar, seigneur de Saint-Vallier, et de Jeanne de la Tour-Bologne, sa seconde femme, est le " M. de Saint-Vallier ", dont Victor-Hugo, dans le Roi s'amuse, et le bibliophile Jacob, dans les deux Fous, font un héros, tandis que l'histoire est plus sévère. Né en 1475, puisqu'il se disait âgé de 48 ans en 1523, Jean de Poitiers, qu'on appelait alors M. de Sérignan, tenait de la faveur royale, dès 1491, une pension de 600 livres sur les finances du Languedoc, qui fut ensuite portée à 800 livres, et remplissait, dès 1505, les fonctions de commissaire du roi, près les Etats de cette province ; mais c'est après la mort de son père, décédé en son château d'Etoile et inhumé à Saint-Vallier, qu'il devint tout à fait un personnage considérable. Car, ayant été nommé lieutenant général chargé par intérim du gouvernement du Dauphiné, le 1er mai 1512, et quelques mois après grand sénéchal de Provence, comme l'avait été son père, on est allé jusqu'à dire qu'il obtint, au bout de peu de temps, promesse de la charge de gouverneur du Dauphiné, moyennant 20.000 écus payés, on ne dit pas à qui ; mais le roi Louis XII étant mort sur entrefaites et son successeur ayant donné cette charge au duc de Longueville, le seigneur de St-Vallier, après avoir été remboursé de ses 20.000 écus, fut ensuite fait chevalier de l'ordre du roi et capitaine de cent gentilhommes de sa maison ; cela n'est qu'à demi vrai, attendu que la nomination du duc de Longueville au gouvernement de Dauphiné est en date du 26 octobre 1514, c'est-à-dire antérieure de plus de deux mois à la mort de Louis XII et que c'est en échange de sa lieutenance générale, abandonnée le 20 janvier 1515, qu'il devint ce que l'on raconte. Or, devenu l'un des principaux officiers de la cour de François Ier, Jean de Poitiers se trouva auprès de ce prince le jour de son sacre et en d'autres circonstances solennelles. De plus, il l'accompagna à la conquête de Milan, où il " se porta vertueusement et fit ce que bons capitaines et chefs de bandes hardies doivent faire ", suivant certain chroniqueur ; et c'est probablement en souvenir de cette conduite que Francois Ier le chargea, six ans après, de lever et de conduire en Italie, où Lautrec, commandant en chef des troupes françaises se trouvait dans une situation critique, 4.000 soldats, - ce qu'il fit en dépit des plus grandes difficultés. Seulement, arrive en Italie, il y tomba malade de la fièvre ; puis, se vit chassé de Milan par les Espagnols, à cause de l'insufance fis de ses forces, et, finalement, ayant rejoint Lautrec, dont les soldats menaçaient de se débander, parce qu'il n'étaient pas payés, se trouva à la bataille de la Bicoque (1522), dont la perte entraîna pour nous celle du Milanais.
Revenu en France après le désastre, Jean de Poitiers fut blessé, quelque temps après, de ce que le roi lui proposa de marcher contre une bande de malandrins qui pillaient le Berry. " On veut que je soye sergent du prévost des mareschaulx ", dit-il avec hauteur et colère ; et c'est peut-être là ce qui lui fit ensuite prêter l'oreille aux propositions du connétable de Bourbon, autre mécontent, qui se dis{263}posait à trahir le roi de France au profit de Charles-Quint. En tout cas, étant entré dans les complots du connétable et ces complots ayant été signalés au roi par son propre gendre Brézé, qui ne se doutait nullement que son beau-père y fut pour quelque chose, le seigneur de Saint-Vallier, qui se trouvait alors à Lyon, en même temps que la cour, fut arrêté dans la nuit du 5 septembre 1523 et mené le lendemain à Tarare, où il subit un premier interrogatoire, puis à Loches, où il fut interrogé de nouveau, ce qui le jeta dans une telle épouvante qu'il en tomba de prostration et de faiblesse. " Il n'y a pas de jour où il ne pleure tout son saoul ", écrivait, treize jours après son arrestation, son valet de chambre Regnault de la Duché, et lui-même écrivant le lendemain à son gendre Brézé, pour le prier d'intercéder en sa faveur auprès de la reine Claude, lui disait : " J'ay le cœur si serré qu'il me crève, que je ne scay que je vous dois mander..., ayez pitié de moi. " Ce langage n'est certes pas d'un héros. Aussi finit-il par tout avouer, après avoir tout nié, et fut-il transporté à Paris dans un état tel, que le Parlement devant lequel il comparut ayant décidé, le 16 janvier 1524, après l'avoir condamné à la décapitation et à la perte de tous ses biens, pour crime de lèse-majesté, qu'il serait appliqué à la question extraordinaire, pour obtenir de nouveaux aveux, le médecin de la conciergerie déclara que le condamné ne pouvait endurer ladite question " sans danger de sa personne ", étant " fort malade et indispos, parce qu'il avait la colique et un desvoyement d'estomac. " C'était un mois après sa condamnation. Le lendemain 17 février, Jean de Poitiers fut dégradé de l'ordre du roi, dans sa prison, puis conduit en place de Grève à cheval, un archer de la ville étant en croupe derrière lui, pour le soutenir, " à cause qu'il estoit faible et qu'il n'avoit voulu manger ni boire depuis son dict arrest, prononcé par desplaisance ", et là, deux bourreaux l'ayant saisi et porté sur la plate-forme de l'échafaud, où ils " le mirent en pourpoint et le forcèrent à s'agenouiller et à requérir pardon à Dieu et à justice ", il allait enfin recevoir le coup fatal, lorsqu'un cavalier fendant la foule apporta des lettres du roi commuant sa peine en celle d'un emprisonnement perpétuel " entre quatre murailles de pierre maçonnées dessus et dessous, esquelles il ne devoit y avoir qu'une petite fenestre par laquelle on lui administreroit son boire et son manger. " Un semblable coup de théâtre devait d'autant plus donner lieu à des conjectures, que l'on se contente rarement, en pareil cas, d'une explication simple et naturelle. L'opinion qui a prévalu au point d'être acceptée par la plupart des historiens, en même temps que dans le drame et le roman, c'est que la fille aînée du condamné, la belle Diane de Poitiers, sauva la vie de son père en se donnant à François Ier ; il est, au contraire, bien évident qu'en cette circonstance le roi céda tout simplement aux instances de Brézé, le mari de Diane, de qui il tenait à reconnaître les bons et loyaux services, ainsi que cela est, du reste, dit en termes formels dans les lettres de rémission. Et, ce qu'il y a de plus curieux, c'est que ce procès a donné lieu à d'autres légendes, toutes sans fondement : par exemple, à celle qui veut que les cheveux du seigneur de St-Vallier aient blanchi dans la nuit qui suivit sa condamnation, parce que de noirs qu'ils étaient lorsqu'on l'arrêta, ils se trouvèrent blancs lorsqu'il monta sur l'échafaud, comme s'il n'y avait pas eu, entre ces deux faits, six mois de tortures morales. Puis, la fiévre qu'il avait contractée, nous l'avons vu, en Italie, deux ans auparavant, et qu'il avait au moment du dernier supplice, fut prise pour un effet de la peur, d'où cette expression proverbiale : " la fièvre de Saint-Vallier. " Et ce n'est pas tout, car Pas{264}quier dit que Jean de Poitiers mourut de cette fièvre peu de jours après avoir été gracié ; enfin, d'autres le font mourir de saisissement au pied même de l'échafaud, tandis qu'il vécut encore quinze ans, dont trois se passèrent dans une prison, d'où il ne s'évada nullement, comme l'avance le P. Anselme, mais d'où il sortit en vertu de lettres d'abolition qui lui furent octroyées au mois d'août 1527, conformément à certaines clauses du traité de Madrid, le connétable de Bourbon s'étant rappelé son complice lorsqu'on fit ce traité. Or, ayant ainsi recouvré ses biens et sa liberté, le seigneur de Saint-Vallier se confina dès lors dans l'administration de sa grosse fortune jusqu'au 26 août 1539, qui est la date à laquelle il mourut dans son château de Pisançon, d'où l'on transporta ses restes à Saint-Vallier, suivant son désir.
Marié : 1º le 4 mars 1489, avec Jeanne de Baternay, fille d'Imbert, seigneur du Bouchage ; 2º le 8 juillet 1516, avec Françoise de Chabannes, veuve de Louis de Miolans, maréchal de Savoie ; 3º avec Françoise de Polignac, veuve de Jean de Gramont et de Jean d'Albaron, Jean de Poitiers laissa quatre enfants, tous issus de son premier mariage : Guillaume, qui n'hérita de son père que pour laisser, faute d'enfants, ses biens à sa sœur aînée ; Diane, dont l'article suit ; Anne et Françoise, qui épousèrent l'une et l'autre un Antoine de Clermont.
BIO-BIBLIOGRAPHIE. - Procès criminel de Jehan de Poitiers, seigneur de Saint-Valliers, par Georges Guiffrey. Paris, Lemerre, 1868, in-8º de lxxxviii + 265 pp., avec pl.
#- Biogr. Dauphiné, ii, 266. - P. Anselme, ii, 205. - A. Du Chesne, 105. - Hist. Languedoc, liv. 54. - Arch. Valence, CC, 31. - Guichardin, Hist. guer. Italie, ii, 413. - Pasquier, Rech., liv. viii, ch. 39. - Cottier, Hist. des recteurs du comté Venaissin, 112.
Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901
Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne
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