BOURJAC (Félix)
BOURJAC (Félix{131}), coseigneur de Clelles, de Saint-Martin-en-Trièves et de Saint-Vincent-de-Charpey, un des premiers et des plus actifs partisans de la Réforme dans notre contrée, appartenait à une famille de notaires de Valence. Petit-fils d'un Etienne Bourjac, qui tabellionnait dans les dernières années du xve siècle, il était le fils aîné de Félix Bourjac, autre notaire, qui, bien qu'étant bedeau du recteur de l'université de Valence, traitait d'assez haut les écoliers, à en juger par certains rondeaux de lui sur les Gorgias de Court (autrement dit les élégants de la Cour), qui font suite à ses protocoles de l'an 1511 et dont le premier est ainsi conçu :
[Vive les gorgias de Court
Qui au col pourtent des coulliers,
Non pas ces lourdeaux escouliers
Auxquieux l'argent souvent est court.
L'un va le pas et l'autre court,
L'autre tient termes singuliers.
Vive les gorgias de Court.]
Catherine Joubert, sa mère, était, croyons-nous, fille de Jean Joubert, bailli de Valence, et Barthélemy Bourjac, son frère cadet, qui prenait le titre de docteur, fut chargé, en 1563, par la ville de Valence, d'aller " en Allemaigne, à la conduite de M. Franz Hocteman, doucteur et premier lisant en l'Université. "
D'abord simple " clerc en l'evesché dudict Valence ", Félix Bourjac devint juge épiscopal de cette ville en 1535, et, comme il s'occupait en même temps des affaires de Diane de Poitiers, dans le Valentinois, cette maîtresse du roi Henri II l'en récompensa en lui faisant avoir la charge de sénéchal du Valentinois et du Diois, vers 1550. Cette charge le mit d'autant plus à même de favoriser la propagation des doctrines religieuses de Calvin, qu'étant ainsi le premier magistrat de la contrée, il n'avait pas à redouter les représailles des catholiques ; et il en profita si bien, que dès le mois de septembre 1551, le lieutenant du roi en Dauphiné, Maugiron, signalait au gouverneur de cette province les audacieux agissements du nouveau sénéchal. Non content de prendre ouvertement parti contre les Cordeliers de Montélimar, dans une querelle que ces religieux eurent alors avec un des leurs, passé à la Réforme, il s'était opposé à ce que le greffier de la sénéchaussée leur communiquât les procédures faites, et Maugiron l'ayant mis en demeure d'expliquer sa conduite, il ne trouva rien de mieux que de faire mettre en prison l'envoyé de ce dernier, sous le fallacieux prétexte que la lettre dont il était porteur devait être fausse. Ce qui n'empêcha pas le protégé de Diane de Poitiers de sortir parfaitement indemne de cette affaire ; car le 5 juillet 1552, étant à Valence, il recevait les protestations et déclarations des magistrats municipaux de cette ville, se disant être " les très humbles et très obeyssans subjects du Roy ", en même temps que ceux de la duchesse de Valentinois.
Etabli ensuite à Montélimar, qui fut un des premiers foyers du protestantisme dans la contrée, Bourjac s'y comporta cependant de telle sorte, que le 15 février 1557, le Conseil de cette ville lui rendait grâces pour avoir " purgé grandement la ville de plusieurs gens mal vivans ", ajoutant que " par son moyen, la République demeure en paix et tranquillité, que despuis sa venue la communaulté a esté deschargée de grandissimes frais pour sa deffense,... et que ledict seigneur lui continua tous les plaisirs qu'il peult en justice. " Malheureusement, il n'en fut plus de même, quand les partisans de la Réforme, à Montélimar, furent assez forts pour pouvoir s'imposer aux catholiques ; car notre magistrat calviniste ne vit alors aucun inconvénient à ce que ses coreligionnaires s'emparassent, par force, de l'église des Cordeliers, pour y faire publiquement l'exercice de leur culte. Il précipita même, le plus possible, ce mouvement autour de lui ; et si, chargé au mois d'avril 1560 de {132}rétablir la paix, dans les pays de son ressort, il engagea les huguenots de Valence à restituer aux catholiques les édifices qu'ils leur avaient enlevés, il ne s'offensa guère de leur refus. Aussi Maugiron, qui fut ensuite chargé d'imposer par le moyen des armes, ce que l'on n'avait pu obtenir par persuasion, et qui avait, pour nous servir des expressions de La Popelinière, " une dent de lait " contre Bourjac, tâcha-t-il de s'emparer de lui, lorsqu'il alla à Montélimar, et, ne l'ayant pu, saccagea-t-il sa maison, " rançonnant jusqu'aux servants ", si l'on en croit Théodore de Bèze.
Deux ans après, le sénéchal du Valentinois était avec des Adrets, qui venait de lever le drapeau d'une révolte dont les conséquences devaient être si terribles pour notre région et dont le premier épisode fut la prise de Valence et l'assassinat de La Motte-Gondrin (25 avril 1562) ; et comme il était le premier magistrat de la contrée, on le chargea de justifier cette prise d'armes et d'exciter l'enthousiasme des soldats en leur traçant leurs devoirs. Or, fait assez singulier de la part d'un ancien protégé de Diane de Poitiers, l'espèce de manifeste qu'il publia, dans ce double but, témoigne d'une grande exaltation religieuse. Car, après y avoir exposé qu'il s'agit de rendre la liberté au roi et à sa famille et de délivrer la patrie des tyrans, thème ordinaire des huguenots de l'époque, il y exhorte " ses frères " à jeûner et réformer leur vie, s'exerçant " continuellement à tous exercices de piété, comme prières et actions de grâces au lever et coucher et à tous leurs repas,... avant que combattre, et après avoir combattu et bien souvent au milieu du combat, vainqueurs ou vaincus..., enfin à toutes heures et en tous lieux, chanter psalmes et louanges à Dieu et mesme les faire sonner à leurs trompettes,... qui fera trembler Satan et tous ses guerriers. " Et cela fait, il joua si bien au capitaine, que des Adrets lui confia le gouvernement de Lyon en partant pour le Forez (30 juin 1562). Seulement, il ne répondit pas à la haute idée que le farouche baron se faisait de son caractère et de ses talents, à ce que nous apprend De Thou (Hist. univ., iv, 301), qui le qualifie d'" homme propre à toute autre chose qu'à des emplois militaires ", et, pour nous résumer, il mécontenta tellement les Lyonnais par son manque de modération et de prudence qu'il fallut le remplacer au plus vite.
Renvoyé dans le Valentinois avec charge d'y lever des hommes et des subsides pour l'armée huguenote, notre sénéchal y était le 10 septembre 1562, date à laquelle il enjoignit aux consuls de Dieulefit de lui envoyer quinze hommes armés et équipés, " à peyne de rebellion et d'estre pendus et estranglés ", ce qui prouve qu'il était à la hauteur de ce rôle ; et l'on ne voit pas, du reste, qu'il soit intervenu autrement ensuite dans les affaires de son parti. Ainsi les habitants de Valence l'ayant prié, le 30 septembre 1567, de recevoir l'assurance de leur fidélité au roi et de rester avec eux, tant que les appréhensions de guerre civile que l'on avait alors ne seraient pas dissipées, il le leur promit sans difficulté ; mais, cette promesse ne l'empêcha pas de partir ensuite pour Montélimar, où l'appelaient, disait-il, " certains siens affaires ", et s'il revint au bout de quelques semaines, ce fut pour exiger des Valentinois une somme de 2,700 livres, à laquelle ils avaient été taxés, pour frais de guerre, par les chefs du parti huguenot. En dépit de tout ce que purent dire leurs magistrats municipaux pour toucher Bourjac, celui-ci fut, en effet, impitoyable et nous savons, par quantité d'actes, qu'il ne traita pas mieux les autres localités de son ressort ; car à Montélimar, par exemple, après avoir rappelé au Conseil (27 octobre 1567), que " le malheur des temps ne procède que de la volonté de Dieu, pour la punition de nos péchés ", il ne manqua pas de lui faire entendre que la guerre nécessitant beaucoup de {133}dépenses, chacun devait en payer sa quote-part. Et s'il se trouva absent de cette ville, le 1er novembre suivant, c'est-à-dire quand les soldats de Paul de Mauvans en pillèrent et saccagèrent les églises et les monastères, il ne le fut pas, le 24 du même mois, jour où il mettait les Montiliens en demeure de lui fournir 250 paires de souliers et 300 aunes de drap pour la garnison huguenote de Pierrelatte.
Naturellement relevé de ses fonctions de sénéchal du Valentinois dès que le parti huguenot cessa d'être le maître dans cette contrée, Bourjac ne fut pas autrement inquiété ; mais il ne dut pas moins emporter dans sa retraite bien des haines et des rancunes, et c'est probablement à quelqu'une de ces violentes passions, qu'il faut attribuer le meurtre dont il se rendit coupable, en 1571, sur la personne d'un homme que Chorier appelle Dinalié et qui devait s'appeler de son véritable nom Divaille. " Bourjac tua Dinalié et fut châtié ", dit l'historien dauphinois, qui ajoute : " Il avait eu la charge de sénéchal du Valentinois et ne s'y était pas bien conduit. Le sang de Dinalié fit venger celui de tant de catholiques que son inconstance en la religion de ses pères avait fait répandre. " Mais il est à remarquer, cependant, que si le crime de Bourjac eut assez de retentissement pour avoir été cause du maintien de l'institution des vibaillis et visénéchaux de robe courte, comme le prétend Chorier, il ne coûta pas la vie au coupable ; car ce n'est que deux ans après que ce dernier mourut, laissant de Françoise de Sauvain, sœur d'un capitaine Louis, seigneur du Cheylard, un fils appelé Louis et une fille du nom d'Angélique qui épousa, vers 1560, Raymond Montoîson, docteur et avocat à Crest.
BIBLIOGRAPHIE. - Ordonnances sur le règlement et gouvernement que doivent tenir les soldats et gens de guerre des bandes chrestiennes.
#Marcel Fournier, Stat. des univ. franç., iii, 407. - Régnier de la Planche, Hist. de l'Est de la France, i, 205, 207, - Th. de Bèze, Hist. eccl., i, 221. - De Thou, iv, 301. - Arch. de la Drôme, E, 2552 et 2553. - Arch. de Valence, BB, 8. - Roman, Doc. sur la Réforme, 5. - Lacroix, L'Arrond. de Montélimar, vi, 108, 110. - De Coston. Hist. de Montélimar, ii, 221, 281, 290, 334. - Etc.
Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901
Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne
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