LA TOUR (René de)
LA TOUR (René de)), seigneur de Gouvernet, capitaine protestant fameux sous ce dernier nom, qui est celui d'un hameau de la commune de Saint-Sauveur, dans les Baronnies, dont son aïeul paternel acquit la seigneurie vers 1520, naquit dans ce lieu en 1543, et était l'aîné des six enfants que Guigues de la Tour eut de son mariage avec Esprite du Bosquet. Il y a de grandes raisons de croire qu'il s'insurgea, au nom de la Réforme, en même temps que Montbrun (V. Du Puy Charles), son voisin de terres, avec qui il fit, dit-on, cette désastreuse campagne de Saintonge (1569), dans laquelle sept régiments dauphinois furent à peu près anéantis ; et, dans tous les cas, ayant été des pre{71}miers à reprendre les armes après la Saint-Barthélemy (24 août 1572), il compta bientôt parmi les meilleurs hommes de guerre de son parti, en Dauphiné, contribuant à la prise et mise à sac de La Motte-Chalancon, le 13 mai 1573, - et non deux ans plus tard, comme le disent tous les historiens ; - à la défaite de de Gordes, au pont d'Oreille, le 13 juin 1575, et, sept jours après, à la mise en pièces d'une compagnie du comte de Beynes, près d'Etoile. Enfin, Montbrun ayant été battu, blessé et fait prisonnier par de Gordes, le 3 juillet suivant, il est de ceux qui menacèrent ce dernier et le parlement de Grenoble de représailles, si le vaincu était traité autrement qu'en prisonnier de guerre, ce qui n'empêcha pas Montbrun d'être condamné et décapité comme rebelle. Mais, c'est à partir du remplacement de ce dernier par Lesdiguières, comme chef suprême du parti protestant dauphinois, que notre capitaine joua, de plus en plus, un rôle véritablement important.
Gouverneur de Serres en Gapençais, vers la fin de 1575, Gouvernet s'empara, en effet, de Tulette, de Visan et de Pierrelongue, au mois de janvier 1577, puis assiégea Tallard ; après quoi, retournant à Tulette, il s'y installa, pour de là faire des courses dans le Comtat-Venaissin. Le 30 juillet 1578, il tentait de prendre Séguret par escalade et tuait 45 hommes au chevalier Oddi, entre Mirabel et Veynes, le 16 septembre suivant, acquérant ainsi une telle réputation que, lorsque le maréchal de Bellegarde eut résolu de chasser Biragues du marquisat de Saluces, c'est lui, Gouvernet, que Lesdiguières envoya à son aide, à la tête de 200 fantassins, 30 chevaulégers, autant d'arquebusiers à cheval et quelques canons, ce qui décida du succès de l'entreprise. Seulement, comme il était convenu avec le duc de Savoie que Bellegarde ne devait pas employer de soldats huguenots dans le marquisat, Gouvernet et ses soldats durent être congédiés le 22 juin 1579, et, revenant alors dans les Baronnies, notre capitaine aida à la pacification de cette contrée, dont les paysans s'étaient soulevés contre les gentilshommes, à l'instigation de Jacques Colas (Voir ce nom). Tous ces services, joints à beaucoup d'autres, lui firent attribuer par le roi de Navarre, chef des huguenots français, le commandement des troupes protestantes se trouvant sur les frontières de la Provence et du Comtat-Venaissin.
Cinq ans et quatre mois plus tard (20 août 1585), Gouvernet chassait de Die, avec le concours de du Poët, le gouverneur catholique Veaunes, et, cinq jours plus tard, il contribuait à la prise de Montélimar par Lesdiguières, qu'il aida ensuite à battre de Vins, sous les murs du château d'Allemagne, en Provence (6 septembre 1586). L'an suivant, on le voit s'emparer successivement de Venterol et de Mérindol (17 juin), et, Lesdiguières ayant rassemblé, au mois d'avril 1588, toutes ses troupes autour de Gap, pour faciliter la construction de la citadelle de Puymore, notre capitaine s'y trouva naturellement, pour de là aller assiéger Saint-Jean-en-Royans, qui fut pris le 28 du même mois. Après quoi, non moins diplomate que guerrier, il négocia une sorte de traité d'alliance entre son chef, Lesdiguières, et le lieutenant du roi en Dauphiné, La Valette, que les progrès de la Ligue menaçaient l'un et l'autre. C'est à Château-Arnoux que ce traité fut signé, le 14 août 1588, et l'une de ses premières conséquences fut l'envoi de quatre cornettes de cavalerie et de 400 à 500 fantassins, conduits par Gouvernet, au secours de La Valette, en Provence ; seulement, notre capitaine dut revenir ensuite en Dauphiné, pour y aider Lesdiguières à contenir et réduire les ligueurs, qui se refusaient obstinément à reconnaître Henri IV pour roi de France ; et, c'est alors qu'après avoir pris Condrieu, puis contribué à la prise de Grenoble, il fut chargé de " remettre soubz l'obéis{72}sance de S.M., la ville et chasteau de Meuillon, occupés par les ennemis. " Meuillon, c'est Mévouillon qui ne se rendit qu'après neuf mois de blocus (juillet 1590-3 mai 1591), et dont il fut alors nommé gouverneur, - ce qui ne l'empêcha pas d'aller, deux mois après, au secours de La Valette en Provence ; puis, à celui de Carcassonne assiégé par Joyeuse et, Joyeuse défait, de retourner en Provence, où il contribua puissamment à la défaite du duc de Savoie, par La Valette à Vinon, le 15 décembre 1591.
Lesdiguières l'ayant ensuite rappelé auprès de lui, Gouvernet ne le quitta plus ; et c'est ainsi qu'il prit une belle part à la victoire de Salbertrand (7 juin 1593), puis aux sièges de Briqueras et d'Exilles, et généralement à toutes les entreprises de son chef, ne posant les armes que quand celui-ci les déposa lui-même, et, comme lui, toujours vaillant et fidèle serviteur du roi, qui ne laissa pas de reconnaître ses services.
Henri IV, qui l'avait fait son chambellan, du temps qu'il n'était encore que roi de Navarre, le créa, en effet, maréchal de camp, le 1er avril 1591, et ensuite son conseiller en ses conseils d'Etat et privé, capitaine de 100 hommes d'armes de ses ordonnances, sénéchal de Valentinois et Diois, et commandant en Bas-Dauphiné, - toutes charges auxquelles il faut ajouter les gouvernements de Die, de Mévouillon, de Nyons et de Montélimar, qui lui furent donnés à différentes dates ; enfin, Louis XIII, après avoir gratifié ce vieux serviteur d'une pension annuelle de 10,000 livres, en 1615, érigea en sa faveur la terre de la Charce en marquisat, au mois de mai de 1619. Or, à ce moment-là, Gouvernet, qui n'avait guère hérité de son père que la petite terre de son nom, et tenait celle de La Charce de sa femme, Isabeau de Montauban, possédait, en outre, les baronnies d'Aix, de Lachau, de Mévouillon, de Montauban et de Cornillon et la Val d'Oulle ; puis, les terres et seigneuries de Ballons, Eygalayes, Nyons, Mirabel, Pontaix, Barsac, la vallée de Quint, le Valgaudemard et beaucoup d'autres, tous biens acquis à beaux deniers comptants au cours des guerres dites de religion, et pour l'acquisition desquels, non moins âpre que son chef Lesdiguières, il ne se fit pas faute de piller les biens d'église et de lever, à toute occasion, de fortes contributions, allant jusqu'à faire démolir un côté de la cathédrale de Die pour construire son château d'Aix, à une lieue de cette ville, où les matériaux ainsi obtenus furent transportés de mains en mains, par une chaîne de corvéables, si l'on en croit la tradition. " Ordinairement suivy de grand nombre de gens de guerre ", à ce que nous apprend un écrit du temps (Arch. de la Drôme, E 4615), ce rude soldat inspirait, du reste, une telle terreur autour de lui que, " tant qu'il a vescu, nulle des communaultés, pour puissantes qu'elles ayent esté, n'a ozé le convenir ny experir ses actions ", et que, lorsqu'il eut été nommé gouverneur de Montélimar (1600), les Montiliens, épouvantés, firent toutes les démarches possibles pour échapper à cette domination.
Quant aux sentiments religieux de ce champion de la Réforme, on peut s'en faire une idée par ce fait, que rencontrant un jour le ministre de Nyons, avec qui il était mal, " il le poussa, mit par terre et fit plusieurs fois passer son cheval sur le ventre. " (Arch. Dr., E 4681). Aussi, le synode provincial ne manqua-t-il pas de censurer le ministre Baratier de Saignes et le bureau académique de Die, pour avoir fait l'éloge de Gouvernet après sa mort.
Celle-ci arriva à Die, le 21 décembre 1619. De son mariage avec Isabeau Artaud de Montauban, ce capitaine qui est, en somme, une des grandes figures militaires de son temps, laissa au moins six fils, dont quatre firent souche, et trois filles.
{73}#Biogr. du Dauph., ii, 33. - Decourcelles, Dict. des gén. - Corresp. de Lesd. - Videl, Hist. de Lesd. - Long, La Réforme et les guer. de relig., 276. - De Coston, Hist. de Montél. - Brun-Durand, Mém. d'E. Piémond, 135, 169, 218, 278, 457. - Mém. de Saignes, 76. - Bull. acad. delph., 3e s. ii, 185. - Etc.
Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901
Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne
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