BARNAUD (Nicolas)



BARNAUD (Nicolas)), médecin, alchimiste et pamphlétaire, de qui les historiens et les biographes se sont assez occupés, pour qu'ils aient fait de lui plusieurs individus différents, en l'appelant, tour à tour, Barnaud, Bernaud, Barnhard, Bernard et même Arnaud, et sur qui ils ne donnent, en fin de compte, que des renseignements fort confus, appartenait à une famille bourgeoise de Crest, remontant à Me Berthon Barnaud, clerc de notaire, régent de la judicature-mage de cette ville, en 1404, dont le fils, Guillaume, exerçait les mêmes fonctions, en 1426-1469. Fils du notaire Libert Barnaud, qui se maria vers 1538 et mourut avant 1567, il était le neveu d'un avocat, Guy Barnaud, chez qui se cachait, en 1551, un religieux cordelier, venu à Crest pour y prêcher la Réforme, et le cousin de Jean Barnaud, vi-sénéchal de Valentinois et Diois au siège de Crest, à qui il a dédié certain de ses ouvrages d'alchimie et qui fut anobli en 1584, pour services rendus au roi et à la religion catholique pendant les guerres civiles. Antoine Barnaud, chanoine-chantre de la collégiale Saint-Sauveur de Crest en 1606 et 1610, était le fils de ce dernier, et Vincent Barnaud, sieur de Saleine, son autre fils, fut le grand-père de Marie Barnaud, qui, étant veuve de Bernard d'Arcizac de la Broquère, se remaria, vers 1700, chez les Simiane.
Médecin, Nicolas Barnaud, comme tant d'autres médecins de son temps, fut un adepte de la philosophie hermétique, et c'est très probablement la recherche du grand œuvre, autant que son inconstante humeur, qui lui fit mener une existence des plus vagabondes ; car il était à peine âgé de 20 ans lorsqu'il alla pour la première fois en Espagne ; et si, après avoir parcouru l'Italie, l'Allemagne et la Suisse, il manifesta l'intention de se fixer à Genève, où le droit de bourgeoisie lui fut accordé gratis, le 17 avril 1617, en considération de ce qu'il était " capitaine de bonne volonté, qui désire faire service, aimant Dieu et la ville ", cela ne l'empêcha pas de continuer ensuite ses pérégrinations à travers l'Europe. Esprit audacieux et caractère impatient de tout frein, il n'était, du reste, pas plus homme à s'accommoder du rigorisme de Calvin que de la discipline catholique, et si l'on a pu lui attribuer avec quelque raison de violents pamphlets contre les auteurs de la Saint-Barthélemy, ce n'est pas sans raison, non plus, qu'il a été donné comme l'auteur de traductions françaises d'un livre de Socin et du De Trinitatis erroribus de Michel Servet ; attendu que Socin était son ami, et que le sentiment qui dicta les imprécations de Barnaud contre {68}les auteurs du massacre du 24 août 1572, ne pouvait que lui rendre sympathique le malheureux médecin, brûlé vif, à Genève, le 27 octobre 1553, parce qu'il différait d'opinion avec Calvin sur quelques points de théologie. Mais c'est à tort cependant qu'on l'a donné comme athée, car il n'y a qu'à parcourir ses livres d'alchimie pour se convaincre du contraire.
Après avoir habité, pendant quelque temps, Genève, puis Bâle, Nicolas Barnaud se remit à parcourir l'Europe et, sans être absolument renseigné sur l'itinéraire qu'il suivit, nous pouvons dire que, par la Prusse et la Bohême, il gagna la Pologne, habitée par Socin, qui lui dédia en 1595, sa Defensio disput. de loco vii epist. ad Romanos. De Pologne, revenant sur ses pas, il alla en Hollande et se trouvait en 1597, 1598 et 1599, à Leyde, où il fit imprimer ses écrits hermétiques. En 1601, il était à Tergow ou Gouda, ville d'où il a daté une de ses lettres à son cousin le vi-sénéchal Jean Barnaud, e museolo nostro chemico ; et de Hollande il revint probablement finir ses jours dans sa famille en passant par le Languedoc ; car, indépendamment de ce que sa visite à Bansillon, ministre d'Aiguemortes, à qui il apprit l'alchimie, - ce qui valut à ce dernier d'être plus tard traduit devant le Synode national de Privas, - ne put avoir lieu qu'à son retour de Hollande, nous savons que Barnaud se trouvait à Crest en 1604, date à laquelle le Synode provincial du Dauphiné étant averti qu'il semait " de tout son pouvoir plusieurs horribles heresies, " trouva " bon que quelquesuns soient depputez pour fere extrait de ses blasphemes et y joindre responce ; que s'il recognoit ses fautes, il fasse imprimer les adveux de ses erreurs, sinon que l'église de Crest appelle deux ou trois pasteurs lesquels procederont à l'excommunication et retranchement d'un membre pourri, afin que l'église de Crest soit deschargée d'une telle peste. " Enfin, il résulte de différents actes que le 10 juin de cette même année 1604, Nicolas Barnaud vendit, 2,400 livres, la maison qu'il avait à Crest, dans la rue du Sang-Royal, à Louis de Lolle, et qu'il mourut peu de temps après, ayant fait un testament par lequel il instituait Anne Ollivier, sa femme, son héritière universelle.
Maintenant, quelles étaient, en réalité, les opinions et les croyances de Nicolas Barnaud ? C'est d'autant plus difficile à dire, que ses ouvrages hermétiques sont les seuls qu'il ait signés de son nom, et que l'on n'a que des présomptions plus ou moins fortes, touchant la paternité de ceux qu'il aurait publiés sous différents pseudonymes. Aussi nous bornerons-nous à constater que les premiers sont sans intérêt aujourd'hui, et que les autres, en admettant qu'ils soient tous du même auteur, sont d'un économiste et d'un historien doublés d'un politique, dont la prescience et l'audace des conceptions n'ont été dépassées par personne.
Voyait-il de loin, en effet, celui qui demandait, en plein règne d'Henri III, l'égalité de tous les citoyens devant la loi ; que tous soient imposés proportionnellement à leur fortune et que chacun soit tenu de faire connaître l'importance et la nature de ses biens et ses moyens d'existence ; puis, que tous puissent prétendre aux emplois publics et fassent à tour de rôle " guet et gardes à la porte des chasteaux royaux, " c'est-à-dire soient astreints au service militaire ; enfin, que les pauvres aient, dans leurs procès, des avocats et procureurs payés par l'Etat.
Et si le passage dans lequel il déclare que " le roy est seulement premier et souverain serviteur du royaume qui n'a pour maistre et seineur que le peuple, duquel les roys reçoivent la dignité royalle, tellement que tout le peuple, considéré en un corps, est par-dessus et plus grand que le roy ", et que " puisque le roy est établi en ce degré par le peuple et pour amour du peuple, et {69}ne peut subsister sans le peuple, " on ne doit pas trouver " estrange quand il se secoue du joug qui lui est tant insupportable " ; si, disonsnous, ce passage, dans lequel il proclame le droit à l'insurrection n'a rien de contraire aux idées de certains théologiens du moyen âge, quel révolutionnaire que celui qui proposait, en 1581, de confisquer les biens du clergé et d'établir un " carcabeau où chaque objet de commerce serait désigné avec le prix de vente qu'y met la loi ! "
Or, cela se trouve tout au long dans Le Miroir des François, livre que Delisle de Sales a longuement analysé dans son Malesherbes, mais qui est d'un homme religieux, ainsi que le prouve le passage dans lequel il est dit que " des rois pervers, des hommes qui gouvernent mal les peuples, doivent trembler en présence de l'Etre suprême " ; tandis que Barnaud n'était rien moins que cela, si l'on en juge par l'attribution qui lui a été faite, peu de temps après sa mort, d'un ouvrage intitulé : De Tribus impostoribus.
Quant au Réveille-Matin des François, autre livre fameux, également attribué à Barnaud, nous avons d'autant plus de peine à croire qu'il soit de lui, que le premier des deux dialogues dont il se compose est une trop froide chronique des événements qu'il raconte pour être d'un homme au caractère emporté, et que le second est d'un sectaire n'ayant en vue que le but à atteindre, tandis que notre Crestois était, au contraire, un indiscipliné que la générosité de sentiments portait à prendre, partout et toujours, parti pour les opprimés contre les oppresseurs. Et ce n'est certainement pas lui qui aurait conseillé, comme le fait l'auteur du Réveille-matin, à la reine Elisabeth de se défaire de Marie Stuart, par crainte que l'Angleterre ne retombe sous le joug de Rome, attendu que : " en affaire d'estat, il faut regarder si ce qu'on propose est juste et utile au public ; les autres respects de clémence, de libéralité, de générosité particulière devant toujours céder à l'utilité publique... et que l'impunité est un vrai refus de justice et de protection à ses sujets, un mespris du salut de son peuple et une désertion et contemnement de la conservation de l'Eglise de Dieu et de son pur service. " Mais ce que l'on peut retenir de cela, c'est qu'il faut que Nicolas Barnaud ait exercé une influence réelle sur l'esprit public à son époque, pour qu'on ait pu le croire et le dire l'auteur de plusieurs ouvrages d'une grande portée. Cela dit, nous allons donner la liste des ouvrages qui sont assurément de lui et celle des ouvrages qui lui sont attribués.
Ouvrages de Nicolas Barnaud :
I. Commentariolus in quoddam epitaphium Bononiæ studiorum ante multa sœcula marmoreo lapidi inscripto ; additi sunt processus chimici non pauci : autore et editore Nicolao Barnaudo Delphinate. Lugd. Batav, Th. Basson 1597, in-8º. Commentaire que n'a pas connu l'auteur de l'art. Barnaud, dans la Nouv. Biogr. univ. et qui concerne la fameuse énigme ÆLIA LELIA CRISPIS. Il se trouve dans le Theatrum chemicum, édit. de 1659 (Argentorati), iii, 744-754 ; dans la Bibliotheca chemica curiosa de Mauger (Genevæ) 1702, ii, et dans l'explication de cette épitaphe par Basinstach.
II. Triga chemica, id est de lapide philosophico tractatus tres editore et commentatore Nicolao Barnaudo delphinate. Lugd. Batav. Chr. Raphelingius, 1599, in-8º. Recueil des traités suivants, traduits, commentés et édités par Barnaud : Lambspringii libellus de lapide philosophico ; Antiqui philosophi Galli Delphinatis anonymi liber secreti maximi totius mundanæ gloriæ ; Extractum ex cymbalo aureo antiquissimo libro manuscripto, ad rem nostram faciens. Ce recueil, dont il y a une édit. de 1600, sortie des mêmes presses et dans le même format, se trouve également dans le Theatrum chemicum, iii, 765-774.
III. Quadriga avrifera nunc pri{70}mum a Nicolao Barnaudo, a Christa-Arnaudi Delphinate Gallo philosopho et medico in lucem edita. Nihil sine numine. Ex officina Plantiniana apud Chr. Raphelingium ci$ci$c. i$c, in-8º de 95 pp. Recueil de quatre traités ou roues : 1º Tractatus de philosophia metallorum anonymo conscriptus ; 2º Georg. Riplei, liber xii portarum ; 3º Ejusd. Liber de Mercurio et lapide philosoph. ; 4º Anonymi scriptum, elixir solis Theophrast. Paracelsi tractans ; qu'on retrouve dans le Theat. chemic., iii, 791-831, et dont l'avis candido lectori est seul de Barnaud, qui nous y apprend qu'il alla en Espagne, quarante ans auparavant, et qu'il visita ensuite les Français, les Anglais, les Sarmates, les Italiens, les Polonais, les Bohémiens, les Prussiens, les Suédois et les Bataves.
IV. Brevis elucidatio arcani philosophorum. Lugd. Batav. 1599, in-8º. Inséré ensuite dans le Theat. chemic., iii, 784-89.
V. Tractatvlvs chemicvs, Theosophiæ palmarivm dictus, anonymi cuiusdam Philosophi antiqui a Nicolao Barnaudo... nunc primum editus et auriga ad quadrigam auriferam quam superiore anno emisit ducendam factus... Lugd. Batav. Th. Basson, 1601, in-8º. Reproduit dans le Theatr. chemicvm, iii, 832-849.
VI. De occvlta Philosophia epistola cuiusdam Patris ad filium a Nicolao Barnaudo medico a Crista Arnaudi, Delphinate Gallo, nunc primum in lucem edita in gratiam omnium philosophorum, maxime vero Batavorum. Lugd. Batav. Th. Basson, 1601. Petit in-8º occupant, dans le tome iii du Theat. chemicvm, les pp. 850-857.
VII. Indépendamment de tous ces ouvrages, le tome iii du Theatrum chemicum, contient de Nicolas Barnaud, les opuscules suivants, qui n'ont pas été imprimés séparément : 1º Processus chemici, v, pp. 755-763 ; 2º Carmen elegans in nomine Dei viventis et vivificantis (en vers latins), pp. 763-764 ; 3º Philosophis Gallis omnibus, pp. 833-834.
VIII. Le Livre de l'autorité de la Saincte Escriture, traduit par Nicolas Barnaud, gentilhomme dauphinois avec l'advertissement de Messieurs les Théologiens de Basle, sur quelques endroits dudit escrit. S.l. 1592, in-8º. C'est la traduction d'un livre de Fauste Socin, que Bayle dit anonyme, mais dont Sandius donne ainsi le titre.
Ouvrages attribués à N. Barnaud.
I*. Dialogus quo multa exponuntur quæ Lutheranis et Hugonotis Gallis acciderunt non nulla item scitu digna et salutaria consilia adjecta sunt. Oragniæ (Orani) excudebat Adamus de Monte 1573, in-8º de 4 f.f. + 170 p.p. + 12 f.f. pour l'index. Ouvrage qui a été traduit en français sous ce titre : Dialogue auquel sont plusieurs choses advenues aux Luthériens et Huguenots de la France ; ensemble certains points et aviz nécessaires d'estre sceuz et suiviz. Bâle, 1573, petit in-8º de 164 p.p. à la fin duquel on lit : " Achevé d'imprimer le 12e jour du 6e mois après la journée de la trahison " - I* bis. Dialogi ab Eusebio Philadelpho cosmopolita, in Gallorum et cæterarum nationum gratiam compositi. Edimburgi, James, 1574, in-8º. C'est l'ouvrage précédent augmenté d'un second dialogue. Il y a du tout une autre édition ayant pour titre : Dialogi duo de vita Caroli IX regis Galliarum reginæ que matris ejus ab Eusebio Philadelpho, Cosmopolita. Edimburgi, 1584, in-8º ; puis deux traductions, dont l'une est en allemand, par Emeric Lebusius (1585, in-8º), et l'autre, qui est la plus connue, en français, sous le titre de : Le Réveille-Matin des François et de leurs voisins, composé par Eusèbe Philadelphe, cosmopolite, en forme de Dialogues. Edimbourg, James, 1574, in-8º de 19 f.f. + 159 + 192 p.p. Enfin le premier dialogue se trouve inséré sous ce dernier titre, dans les Archives curieuses de l'histoire de France, vii, 167-207.
II*. Le Cabinet du roi de France, dans lequel il y a trois perles d'inestimable valeur, par le moyen desquelles le Roy s'en va le premier monarque du {71}monde et ses sujets du tout soulagez, par N. D. C. (Nicolas de Crest ?). S.n.l.d., 1581, in-8º. Ouvrage que certains bibliographes attribuent à un Nicolas Frommenteau, qui ne serait que Barnaud lui-même, suivant d'autres, et dont il y a, en tous cas, d'autres éditions : S.n.d.l., 1584, in-8º, et Londres, 1624, in-8º.
III*. Le Secret des thrésors de France, descouvert et départi en deux livres, par N. Froumenteau et maintenant publié pour ouvrir les moyens légitimes et nécessaires de payer les dettes du Roy, descharger ses sujets des subsides imposés depuis 31 ans et recouvrer tous les deniers promis à Sa Majesté... S.l. 1581, pet. in-8º de 230 + 194 p.p. Ouvrage dont il y a une seconde édition sous le titre de : Le Secret des finances descouvert, etc. S.l., 1581, in-8º, et une troisième sous le titre de : Thrésor des Thrésors de France ou Préparatif propre et nécessaire... S.l., 1581, 3 tomes en un volume in-8º.
IV*. Le Miroir des François, compris en trois livres, contenant l'estat et maniement des affaires de France, tant de la Iustice que de la Police..., le tout mis en dialogue par Nicolas de Montaud. S.l., 1581, in 8º de 75 + 497 p.p. Il y a, de cet ouvrage, des exemplaires datés de 1582, bien qu'ils soient de la première édition, et une seconde édition de 1582, in-8º de 75 + 736 p.p.
V. Sept livres de Servet concernant les erreurs touchant la Trinité, traduction dont nous ne connaissons que le titré.
#Biogr. Dauph., i, 69-72. - France prot., nouv. éd. - Min. de notres. - Et. civ. de Crest. - Syn. du Dauphiné. - Pr. Marchand, Dict. hist. - Quérard, Superch. litt. - Barbier, Dict. des anon. - Arch. cur. hist. de Fr. - Delisle de Sales, Malesherbes, 202. - Sandius, Bibl. anti-Trinit., 6.




Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901

Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne

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