ALBERTDERIONS (François-Hector d')
ALBERTDERIONS (François-Hector d')), fils puîné du précédent et de Madeleine Artaud, né à Avignon, le 19 février de l'an 1728, étant entré de très bonne heure dans la marine, était capitaine de vaisseau, quand la France, prenant parti pour la république naissante des Etats-Unis, déclara la guerre à la Grande-Bretagne. Commandant alors Le Sagittaire, il fit la plus grande partie de la campagne (1775-1781), sur ce navire de 50 canons, avec lequel il s'empara, le 27 sept. 1779, de L'Experiment, vaisseau anglais, sur lequel on trouva 250,000 livres suivant les uns, et, selon les autres, 650,000 livres d'argent monnayé. Quant au reste de la campagne, il le fit sur Le Pluton, vaisseau de 74 canons, avec lequel il prit une belle part à tous les combats que le comte de Grasse livra aux Anglais, notamment à cette désastreuse bataille de St-Domingue (12 avril 1782), qui nous coûta plusieurs vaisseaux, quantité d'officiers de mérite tués et un grand nombre de prisonniers, parmi lesquels était le comte de Grasse luimême. Seulement, tandis que le conseil de guerre qui se prononça, quatre ans plus tard, sur les causes de ce désastre, adressa des reproches à certains lieutenants du comte de Grasse, il n'eut que des éloges pour le commandant du Pluton, qui avait soutenu, à lui seul, une lutte de plusieurs heures contre quatre vaisseaux ennemis. Et, du reste, bien avant que le conseil de guerre se fût prononcé à ce sujet, l'opinion publique était si bien faite sur le compte de M. de Rions, que le fameux Suffren, qui était en ce moment-là dans les mers de l'Inde, écrivait, le 29 septembre 1782, au ministre de la Marine : " Je ne connais qu'un homme qui a toutes les qualités que l'on peut désirer, qui est brave, très instruit, plein de zèle et d'ardeur, désintéressé, bon marin, c'est M. de Rions et, fût-il en Amérique, envoyez-lui une frégate. J'en vaudrai mieux l'ayant, et si je meurs, vous serez assuré que le bien du service n'y perdra rien. Si vous me l'aviez donné quand je vous le demandai, nous serions maîtres de l'Inde. "
Aussi, le marin dauphinois fut-il nommé, coup sur coup, chef d'escadre, commandeur de Saint-Louis et directeur général du port de Toulon en 1784. L'an suivant, il devenait commandant de la marine dans ce port, et il l'était depuis quatre ans, lorsqu'il se trouva malheureusement mêlé à une affaire, qui fit alors grand bruit et qui, après avoir donné lieu à des relations fort différentes, vient d'être mise au point de l'histoire par M. Georges Duruy.
Bien que la fermentation des esprits, dans notre grand port de la Méditerranée, à la veille de la Révolution, se fût traduite, le 28 mars 1789, par une émeute, qui faillit coûter la vie à un ancien maire et au procureur de la commune de Toulon, et pendant laquelle différentes maisons, entre autres celle de l'évêque, furent mises à {17}sac, il semble que M. de Rions aurait dû être à l'abri des inimitiés populaires, non seulement à cause de sa réputation de vaillant marin, mais encore parce qu'il avait fait preuve d'une grande générosité en maintes circonstances ; d'abord, en soutenant de ses deniers une institution de prévoyance pour les marins pauvres, appelée la Bourse des marins ; puis, en faisant distribuer aux indigents les sommes qui devaient être employées à fêter le mariage de sa fille avec M. de Colbert. Seulement, comme il était avant tout l'homme de la discipline, les événements du 23 mars 1789 l'irritèrent à ce point qu'il écrivait, le surlendemain, au ministre de la Marine : " Si à la douceur qu'on prend pour de la faiblesse, le Gouvernement ne fait succéder une juste sévérité, je ne connais rien dont on puisse répondre avec quelque certitude. " Et, quelques mois après, la municipalité toulonnaise ayant invité tous les habitants à porter la cocarde tricolore, il négligea non seulement de se rendre à cette invitation, mais refusa encore, avec dédain, la cocarde qui lui fut offerte, à cette occasion, par la jeunesse de la ville.
Il suffisait de moins pour faire considérer M. de Rions " comme un ennemi de la liberté conquise ". On en vint à l'accuser de préparer une Saint-Barthélemy de patriotes, et il y avait, en un mot, conflit latent entre le commandant de la marine à Toulon et la population de cette ville, quand se produisit l'incident dit de la Cocarde noire. Un M. d'Auville, officier au régiment de Dauphiné, ayant été malmené par des gardes nationaux, le 13 novembre 1789, parce qu'on ne trouvait pas suffisamment grande la cocarde tricolore qu'il avait à son chapeau, ses camarades adressèrent une protestation assez vive à la municipalité. Celleci s'en plaignit à M. de Rions, qui répondit qu'une semblable démarche n'avait rien que de naturel, si elle ne manquait pas du respect dû à la municipalité, ajoutant qu'il ne souffrirait pas " qu'aucun des individus placés sous ses ordres eût à souffrir de l'espèce d'inquisition que la milice cherchait à établir à l'occasion de la cocarde nationale ". Les gardes nationaux ripostèrent en réclamant un châtiment pour les officiers signataires de la protestation incriminée, ensuite de quoi le maire et quantité d'officiers de la milice citoyenne s'étant rendus auprès de M. de Rions, le sommèrent d'infliger une punition à ceux de ses officiers qu'ils estimaient avoir manqué à la municipalité. Ce qui eut naturellement pour résultat d'exaspérer le vieux marin, qui, après avoir dit au maire qu'il était tout étonné " de le voir s'introduire chez lui, avec nombre de volontaires, les derniers des hommes ", lui déclara " que s'il avait été prévenu de leur arrivée, il se serait mis à la porte pour s'opposer à leur entrée ".
Pour corriger le déplorable effet d'une semblable réponse, M. de Rions fit bien retirer ensuite la protestation dont on se plaignait, mais la guerre n'en fut pas moins déclarée entre la population toulonnaise et le commandant de la marine. Au lieu d'accepter la concession faite par ce dernier, la garde nationale se plaignit à l'Assemblée nationale et, finalement, le renvoi de deux ouvriers de l'Arsenal, coupables d'avoir arboré à leur chapeau, malgré les défenses de leur chef, une sorte d'aigrette appelée pouf, amena, le 1er décembre, une nouvelle explosion des passions populaires. Le maire et quelques autres membres de la municipalité, suivis d'une foule, étant allés, ce jour-là, à l'Arsenal pour demander à M. de Rions de reprendre les ouvriers renvoyés, et le commandant étant alors sorti pour se rendre à son hôtel, parce que les manifestants se refusaient à entrer dans l'Arsenal, par crainte de quelque guet-apens, il y eut aussitôt conflit entre les officiers qui accompagnaient M. de Rions et la foule. Exaspérée, celle-ci enfonça les portes de l'hôtel du commandant, le saccagea, et s'étant enfin emparée de lui et de qua{18}tre de ses officiers, les traîna en prison, où ils ne restèrent pas moins de 15 jours.
Si fréquentes que fussent en ce temps-là les scènes de désordre, ces déplorables événements eurent d'autant plus de retentissement en France que l'Assemblée nationale, saisie de l'affaire, d'abord par la municipalité de Toulon, ensuite par M. de Rions, les hommes les plus marquants de cette Assemblée intervinrent dans le débat. Violemment attaqué par Robespierre et par quelques autres, M. de Rions fut chaudement défendu par Malouet, qui le connaissait, ayant été luimême intendant de la marine, à Toulon ; mais tel était le courant de l'opinion, qu'après s'être fait faire un rapport détaillé des événements, l'Assemblée nationale ne crut pouvoir mieux faire que d'innocenter les émeutiers, en déclarant qu'il n'y avait pas lieu à poursuites, et de charger en même temps son président, Target, d'écrire au commandant de Rions, pour l'assurer de sa considération et de son estime.
Naturellement peu satisfait d'un semblable résultat, M. de Rions se plaignit alors au roi ; mais que pouvait bien faire, en semblable circonstance, le malheureux Louis XVI ? Après avoir fait écrire une lettre de condoléances au vieux marin, il lui fit donner le commandement d'une flotte de trente vaisseaux, qui se formait à Brest, pour appuyer l'Espagne contre l'Angleterre dans l'affaire de Nooka-Sund. Entré en possession de ce commandement, M. de Rions, instruit par l'expérience, aurait dû se renfermer dans l'exercice de ses fonctions. Or, il eut, au contraire, la malencontreuse idée d'attirer, derechef, quelque temps après, l'attention sur lui, en demandant à l'Assemblée nationale l'autorisation d'assister à la fédération du 14 juillet 1790, en qualité de représentant de la flotte, et la lecture de sa lettre, à la tribune de cette Assemblée, eut naturellement pour effet de réveiller des colères. Robespierre surtout le traita de la manière la plus dédaigneuse dans la séance du 3 juillet : " Je reconnais, dit-il, tout le mérite de M. Albert ; mais est-il le premier parmi les citoyens qui ont montré le plus de zèle pour la chose publique ? On m'oppose que M. Albert a un titre particulier comme chef de l'escadre,... j'espère que M. Albert, lui-même, trouvera son mérite assez récompensé par le commandement dont il est honoré. " En un mot, bien qu'ayant fini par obtenir ce qu'il demandait, le compagnon d'armes du comte d'Estaing et du bailli de Suffren sortit fort diminué de ce débat et le serment civique qu'il prêta solennellement, quelques jours après, sur la place de la Concorde, ne lui fit pas une situation meilleure ; si bien, que, retourné à Brest, il y fut alors suspect à tout le monde. Dénoncé par les clubs, comme un ennemi du peuple, il finit par être insulté par ses propres soldats.
Voyant cela et n'ayant rien pu obtenir de l'Assemblée, à qui il se plaignit, plus d'une fois, d'une semblable situation, M. de Rions se démit de son commandement le 4 octobre 1790, pour aller à Coblentz, où s'organisait un corps d'émigrés. Il paraît même qu'il y commanda, en second, les marins ; mais, les fanfaronnades et la légèreté de ses nouveaux compagnons d'armes l'ayant bien vite dégoûté, il se retira alors en Dalmatie, vers la fin de 1792, et y resta jusqu'après le 18 brumaire, époque à laquelle étant revenu en France, il fut interné à Saint-Auban, le 12 floréal an IX.
Aveugle et pauvre, il se trouvait dans le plus triste état, quand le premier Consul, instruit de cette situation, lui accorda le maximum de la pension de retraite d'un contre-amiral, " en considération des services aussi distingués que nombreux qu'il avait précédemment rendus, de sa conduite politique pendant la Révolution, de son âge, de ses infirmités et de sa misère, " dit le rapport du ministre de la Marine. C'était au mois de juin 1802 et, le 4 octobre de la même {19}année, d'Albert de Rions mourait à Draguignan, chez sa fille, Mme de Colbert de Canet, seul enfant qu'il ait eu de son mariage avec Thérèse-Françoise-Pauline-Madeleine de Clerc de Ladevèze, épousée à Valence, le 16 juin 1761. Cette dernière obtint, quelque temps après, la restitution de la bibliothèque de son mari, qui était, paraît-il, composée d'ouvrages choisis.
ICONOGRAPHIE. - Grav. in-8º représentant dans un médaillon rond, de 0,07, d'un côté, un combat naval, avec cette légende : m. d'albert de rions fait une belle action, en se battant sur le pluton, contre iv vaiss. ; de l'autre, un combat dans la rue, avec la légende : les bonnes actions valent mieux que les belles actions, 1789, novembre.
BIBLIOGRAPHIE DES ÉCRITS RELATIFS A L'AFFAIRE DE TOULON. - I. Memoire que M. de Rions a fait dans la prison où il est detenu. Grenoble, Cuchet, s.d., in-8º de 15 pages.
II. Mémoire de la ville de Toulon.
III. Mémoire de M. d'Albert de Rions père.
IV. Recueil de pièces concernant M. d'Albert de Rions.
V. Mémoire historique et justificatif de M. le comte d'Albert de Rions sur l'affaire de Toulon. Paris, Desenne, 1790, in-8º de 116 pages.
VI. Précis sur l'affaire de Toulon, signé : Raymond, Jourdan, Mallard, députés de la Garde Nationale de Toulon. S.l.n.d. in-8º de 13 pages.
VII. Détail des événements relatifs à la détention de M. le comte d'Albert et des principaux officiers de la marine... Marseille, Favet, 1790, in-8º de 76 pages.
VIII. Affaire de Toulon : officiers généraux et principaux de la marine conduits en prison. Compte rendu de cette affaire, suivi de l'opinion de M. Malouet. S.l.n.d. in-8º de 23 pages.
IX. Opinion de M. Malouet sur l'affaire de M. le comte d'Albert. S.l.n.d. in-8º de 12 pages.
X. Défense du commandant et des officiers de la marine, prisonniers à Toulon. Deuxième opinion de M. Malouet. S.l.n.d., in-8º de 31 pages.
#Biogr. Dauph. i, 10. - Rev. des Deux-Mondes, cx, 16, 369. - Moniteur off. - Lacroix, L'arr. de Nyons, ii, 284. - Etc.
Brun-Durand Dictionnaire Biographique de la Drôme 1901
Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de la Drôme & Les amis du Vieux Marsanne
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